Terremer, ce classique de la littérature fantasy, présente un monde constitué d'îles formant un gigantesque archipel. Ceux qui ont le don peuvent suivre une formation et devenir mages, en apprenant les mots du langage de la création, désormais oublié hormis par ces créatures légendaires que sont les dragons. Ces derniers, aimant l'air et le feu, vivent globalement à l'écart des hommes, qui ont choisi la terre et l'eau.
La présente édition, disponible depuis mars 2007 seulement, réunit en format poche les trois premiers tomes de Terremer, à savoir : le sorcier de Terremer, les tombeaux d'Atuan et l'ultime rivage. Ce qui donne : un grand nombre de pages, un certain temps indispensable pour tout lire, (un blog retardé) mais surtout un rapport qualité-prix particulièrement intéressant.
Terremer hérite directement des qualités du Seigneur des Anneaux, notamment d'une écriture de qualité, poétique et absolument merveilleuse à lire, sans pour autant plagier son précurseur par son intrigue ou les concepts de son monde. Cependant, je ne conseillerais pas ce livre aux jeunes férus d'action et de rebondissements, car assurément ce n'est pas ce que vous y trouverez. Mais si vous aimez les récits tout simplement bien construits, originaux et sans défaut littéraire, alors vous serez comblés. Dans tous les cas, Terremer est assurément un incontournable du genre, qui ne plaira pas forcément à tout le monde mais ravira qui saura en apprécier la saveur. Les intrigues peuvent paraître linéaires et sans surprise, mais cela est compensé par le fait que le roman est divisé en trois parties distinctes (donc sans longueurs inutiles). Voyez-les davantage comme des contes que comme des livres d'action.
Car bien qu'il s'agisse de trois tomes, ces derniers, même s'ils mettent globalement toujours Ged en scène, ne se suivent pas directement. Ils possèdent chacun leur intrigue, sont espacés par de grandes périodes de temps et ne se centrent pas toujours sur le même personnage.
Ainsi, le sorcier de Terremer nous fait découvrir la jeunesse de Ged, ce jeune chevrier pourvu d'un don incroyable. A la suite d'un coup d'éclat, il est repéré par Ogion et rapidement envoyé faire son apprentissage à Roke, mais son propre orgueil l'entraîne bientôt à commettre de graves erreurs.
Les tombeaux d'Atuan situe son intrigue dans une toute autre région. L'héroïne est Arha, une petite prêtresse réincarnée dévouée aux forces obscures. Mais sa vie va changer lorsqu'elle rencontre un homme de l'Ouest, prétendu mage errant dans les galeries sacrées.
Dans l'ultime rivage, c'est le jeune Arren, prince d'Enlade, qui devient le protagoniste principal au même titre que Ged. Alors qu'une force obscure ronge l'archipel privé de roi et engloutit la mémoire des hommes et des bêtes, faisant disparaître la magie et la vie, Ged se met en route afin d'en trouver la source, accompagné par Arren. Nul ne sait pourquoi il a choisi de partir seul avec ce guerrier inexpérimenté, mais il pourrait bien avoir ses raisons...
Quelques mots sur le film de Goro Miyazaki, Gedo Senki, intitulé en français les contes de Terremer. Ce film d'animation s'inspire du troisième tome, mais autant le dire tout de suite, les différences sont énormes aussi bien au niveau des protagonistes que du scénario. Il ne faudra donc pas vous attendre à une adaptation aussi fidèle, voire transcendante, que pour le château ambulant (inspiré, rappelons-le, du château de Hurle de Diana Wynne Johnes - oeuvre, il est vrai, d'un autre niveau que Terremer). Ceci dit sans déprécier les grandes qualités du film, d'autant plus que les modifications ne sont pas forcément un mal, mais soyez avertis quand même.
EXTRAIT
- C'est une porte bien étroite que vous gardez, Maître, dit enfin Ged. Je crois que je vais devoir m'asseoir par ici dans les prés, et jeûner jusqu'à ce que je sois assez mince pour m'y faufiler.
- Prends tout ton temps, dit le Portier en souriant.
Ged alla donc s'asseoir un peu plus loin sous un aulne au bord du Brûlesuif, laissant son otak jouer dans le courant et chasser l'écrevisse le long des berges boueuses. Le soleil se coucha tard, car le printemps était déjà bien avancé. Aux fenêtres de la Grande Maison, Ged vit bientôt briller la lumière des lanternes et des feux follets, tandis qu'au bas de la colline les rues de Suif étaient gagnées par l'obscurité. Des chouettes hululaient au-dessus des toits, et des chauves-souris voletaient dans le crépuscule au-dessus du courant, et Ged était toujours assis, essayant d'imaginer comment il pourrait apprendre le nom du gardien, que ce soit par la force, la ruse ou la magie. Mais plus il réfléchissait, moins il arrivait à discerner, parmi tous les arts de sorcelleries qu'il avait appris en cinq ans à Roke, lequel pourrait lui servir à arracher un tel secret à un tel mage.
Il s'allongea dans l'herbe et dormir à la belle étoile, l'otak blotti dans sa poche. Quand le soleil fut levé, il s'en alla frapper à la porte de la Maison, le ventre toujours vide. Le Portier lui ouvrit.
- Maître, dit Ged, je ne peux pas vous prendre votre nom car je ne suis pas assez fort, et je ne peux pas vous le subtiliser car je ne suis pas assez sage. Je me contenterai donc de rester ici, pour apprendre ou pour vous servir selon votre désir, à moins que vous n'acceptiez de répondre à une question que j'ai en tête.
- Pose ta question.
- Quel est votre nom ?
Terremer
Ursula Le Guin
Robert Laffont - le livre de poche
Extrait pp. 106-107